Tipashemu Elle raconte explore des récits du territoire du peuple nordique à travers une forme théâtrale. Au cœur de la pièce se trouve l’histoire d’un groupe de nomades frappé par la famine il y a 125 ans dans un endroit nommé The Caribou Mountain, situé dans la région de Caniapiscau à 225 km de la ville minière de Schefferville. Cette histoire, transmise par l’aînée Annie Mckenzie de Matimekush Lac-John, m’a inspirée à recueillir d’autres récits du territoire: des histoires d’amour, le portrait d’une communauté très présente dans toutes les sphères de la vie du village, des disparitions mystérieuses, ainsi que la relation entre le peuple du Nord et le territoire.
Cette pièce est née de mon expérience avec le territoire nordique. Je vais moi-même souvent en territoire pour la chasse au caribou et pour le plaisir d’y être, et je veux partager cette réalité. Le territoire nordique est un monde à part. J’ai longuement observé des chasseurs à l’œuvre, leur regard, leur concentration absolue quand le moment est venu ; ils changent subitement. Plus rien n’existe à part la proie.
J’ai eu la chance de pouvoir observer les caribous quand ils sont en troupeau et aussi, de ressentir la tension que créent les loups sur un territoire. Les animaux sont sur le qui-vive et se déplacent beaucoup. Après avoir entendu le hurlement des loups, le lendemain, ils n’avaient laissé qu’une carcasse de caribou presque vide, tout avait été mangé. Le calme qui règne ensuite est troublant, comme une disparition.
À mon grand étonnement, il y a eu beaucoup de disparitions dans le territoire nordique : certaines ont laissé quelques indices, d’autres aucune trace. Les familles restent avec ce mystère en mémoire pour le reste de leur vie. Souvent, des statuettes sont érigées aux endroits où ils ont été vus pour la dernière fois, parfois très loin dans le territoire. Les communautés se souviennent, et les histoires se transmettent et parfois se transforment en légendes.
Ayant habité à Schefferville pendant 12 ans, ma communauté d’origine, j’ai vécu la vie de région éloignée, celle où les gens se donnent constamment des nouvelles, où la radio est toujours allumée. Entre les commérages et les rumeurs, la communauté peut aussi être aimante et protectrice, et les relations amoureuses se vivent sous son regard bienveillant.
Marjolaine Mckenzie
Artiste innue | Comédienne | Écrivaine | Engagée communautaire
Originaire de la communauté de Matimekush Lac-John, Marjolaine Mckenzie est une artiste passionnée par le théâtre et l’engagement communautaire. Son parcours, alliant création artistique et implication sociale, s’étend sur plus de deux décennies.
Fondatrice des Productions Papu Auass, elle a développé et mis en scène des spectacles pour enfants et adultes, diffusés à travers le Québec et au-delà. Comédienne, elle a collaboré avec des compagnies de renom telles que Ondinnok, Théâtre 8, Spiderwoman Theater, et s’est produite sur des scènes à Québec, Montréal, en Ontario, en Alberta et à New York.
Également, elle a été l’une des lauréates du concours d’écriture Hannenorak (2023) et a reçu le prix d’excellence de la SODEP pour un article portant sur Natasha Kanapé Fontaine. Son engagement dans la critique et la valorisation des arts autochtones l’a amenée à collaborer avec la Revue JEU et à contribuer à divers recueils collectifs.
Parallèlement à sa carrière artistique, Marjolaine joue un rôle essentiel dans le développement culturel et communautaire des Premières Nations. Elle a œuvré comme intervenante et organisatrice communautaire au Conseil de la Nation Matimekush Lac-John et a formé des animateurs à l’Institut Tshakapesh et travaille depuis deux ans pour l’Institut de développement durable des Premières Nations.
Elle poursuit son travail de création en collaborant avec le designer Jean-Claude Poitras pour une réinterprétation de pièces vintages, ainsi qu’à l’écriture du recueil collectif «Amour» (dirigé par Michel Jean, à paraître en 2026).